En ce début de mois de février, c’est amer que je vois les températures grimper à toute bringue… et l’espoir d’une belle saison de cascades de glace s’étioler peu à peu. Après les coups de froid de janvier, voilà que l’hiver nous donne des avant-goûts de printemps. Tant mieux pour les allers-retours nocturnes à vélo entre l’appartement et l’entreprise, mais que diable vont devenir les cascades ? Inquiet à l’idée que la saison glaçon ne se résume pour moi qu’au Grand Laus, je contacte les amis haut-alpins pour improviser un petit séjour dans la foulée.

Je retrouve Matthieu devant la Poste d’Embrun le dimanche 11 février, à 5 h 50. Ça vente beaucoup, mais il ne fait même pas froid. Le programme du jour : l’initier à la cascade de glace, le camarade n’ayant encore jamais planté de piolets et de crampons sur ces édifices un peu particuliers. Nous rejoignons Ceillac, dans le Queyras, pour traîner nos frêles carcasses sur le Y de droite, que j’ai déjà parcourue plusieurs fois. Cette ligne a l’avantage d’être un beau morceau pour un débutant : l’escalade n’a rien de très excessif (3+), mais elle propose déjà une petite approche de la verticalité en glace, là où certaines cascades d’initiation peinent à se redresser.

À 7 h 15, nous sommes au pied de la bête. Et nous sommes seuls. Le désir de ne pas participer à une foire d’empoigne dans ce secteur très parcouru (surtout quand, ailleurs, la glace est plus rare et pas toujours très bonne) avait motivé notre départ très matinal, et nous ne regrettons rien. Le Y est pour nous, rien que pour nous. Jusque-là, je n’avais encore jamais appris à quelqu’un à grimper… ni sur glace ni sur rocher d’ailleurs. Et mes explications sont sommaires, hésitantes. Mais, de toute façon, Matthieu entend bien faire au feeling, essentiellement. Je lui précise toutefois qu’on a trop souvent tendance à sous-estimer les cascades de glace quand on est à leurs pieds, mais qu’elles se révèlent très vite bien plus difficiles dès lors qu’on y est accroché avec crampons et piolets. Un avertissement qu’il éprouvera bientôt empiriquement.

La glace de ce Y est là, bien là, mais elle n’a rien d’excellent, encore moins de fascinant. Elle est assez molle, un peu pop-corn et, à certains endroits, le brochage n’est pas des plus confiants. Mais le Y fait le job : je me ballade en tête en chantant Le Chiffon rouge (qui généralement endort ma fille !) et Matthieu suit derrière, sans mal. Il galère un chouïa avec la technique tout de même, ne sachant pas très bien comment utiliser ses piolets, au point d’ailleurs de vouloir parfois carrément en venir aux mains – c’est un bon grimpeur de rocher… Nous sommes bientôt talonnés par une cordée conduite par un guide, qui cravache. Et le soleil s’impose là-haut, annonçant une belle journée. À 10 heures, nous sortons de la cascade.

Le lendemain, lundi 12 février, je laisse Matthieu et je retrouve Nico, pour une journée bien chargée : du ski le matin, de la glace l’après-midi. Nous montons aux Orres pour récupérer deux télésièges et un téléski, qui nous conduisent dans les hauteurs de la montagne de l’Alpe de Verdun. Là, nous mettons les peaux de phoque sous les skis pour rejoindre le vallon qui nous intéresse (je ne crois pas qu’il ait un petit nom celui-là), théâtre de nos ébats du jour avec la poudre… Sauf que de poudre il n’y a pas vraiment, du moins au début. Durant la nuit, le vent a bien soufflé et le haut du vallon est recouvert d’une croûte pas très évidente à skier, d’autant qu’ici la pente est plutôt raide et que mes skis sont vraiment beaucoup trop larges pour ce genre de neige. L’incertitude quant à la résistance du manteau neigeux nous pousse à y aller l’un après l’autre, me laissant tout loisir d’admirer les belles courbes que Nico sculpte dans le vallon sur son passage – lui pourra se contenter de regarder dépité les traces qu’y laissent mes pelles à tarte.

Cette descente sauvage, loin du raffut de la station – pas très loin, mais qu’on ne voit pas – et de l’encombrement de ses pistes bien damées, est très belle et variée. Une fois descendues les pentes blanches et vierges du haut du vallon, nous engageons une partie de slalom entre des arbustes et des arbres, dans une neige plus engageante et plus profonde. Nous rejoignons ensuite une piste forestière que nous quittons brutalement pour descendre dans les sous-bois, via une pente d’abord bien raide, puis plus douce. Cela faisait presque un an que je n’avais pas chaussé les skis, et si la technique revient vite, les cuisses, elles, peinent à ne pas crier à la torture. Mais ce petit run matinal se finit avant le drame et laisse la place à la cascade de glace.

Ce coup-ci, ce n’est pas Ceillac qui accueille mes piolets. Nous restons dans le coin pour escalader Clara, une cascade qui nous a vu descendre à ski, de l’autre côté du vallon. Nous la retrouvons après une courte approche, trente minutes d’une marche un peu pénible, à brasser dans la neige du fond du vallon. La voie n’est pas très longue (180 mètres), mais elle propose un cheminement intéressant (cotation 4+), la glace se rétrécissant jusqu’à épouser les parois de calcaire qui la bordent, avant de s’élargir à nouveau. Le passage le plus enthousiasmant est sans conteste la remontée de la petite cheminée de la deuxième longueur, qui offre une belle escalade mixte (cotation M3+), sur une glace très fine (brochage impossible) et un rocher légèrement déversant. Pour celles et ceux qui voudraient s’aventurer sur cette belle œuvre, ne tardez pas : si les températures continuent leur folle ascension, Clara ne sera bientôt plus en conditions (la première longueur était déjà bien fragilisée).
En tout cas, après ces deux jours sur la glace, une évidence s’impose à nouveau, implacable : on vivra la fin des glaces avant la fin des classes. Hélas.
Guillaume